UT FENESTRAE SUNT

La fenêtre réiste.

Une fenêtre est un objet matériel, une chose, qui crée le lien entre l’intimité et le domaine public. C’est, à proprement parler, une ouverture sur la partie du monde que nous ne pouvons atteindre avec nos mains, alors que l’intérieur de la fenêtre est accessible. 

On peut être pris de vertige en regardant la mer à travers une fenêtre. On ressent la tromperie de l’horizon, objet lointain et irréel, qui prétend imposer une limite au monde. Souvent une fenêtre nous offre un paysage plus limité, il nous rassure, pourvu que nous ne soyons effrayés par ce qui pourrait exister au-delà du champ du visible. Lorsque le spectateur, penché à sa fenêtre se pose des questions qui sont toujours sans réponse, c’est à ce moment-là, que l’inéluctable désir et l’angoisse de voir plus loin se font sentir.

De nombreux artistes ont pris la fenêtre comme thème mais, avant le XVIIIème siècle, peu en ont fait le sujet souvent il s’agit de portraits de personnes qui se penchent pour être vues de l’extérieur, les tableaux suivants en sont des exemples.

Que serait une fenêtre, ce cadre qui prétend englober tout le monde extérieur, sans un observateur, que ce soit le peintre lui-même ou une autre personne ? L’habitant de la chambre où est la fenêtre ressent la même désir impérieux de connaissance que James Stewart et Grace Kelly dans le film « Fenêtre sur cour ». Alfred Hitchcock a représenté l’impuissance de l’observateur en le montrant handicapé, avec une jambe cassée dans le plâtre. Il ne peut se dérober à l’intense désir de voir, et de savoir, symbolisé par le puissant objectif. 

Le thème de la fenêtre est beaucoup plus fréquent dans des tableaux du XXème siècle ; on constate qu'elle devient elle-même la protagoniste du tableau. 

Parmi les deux exemples ci dessous,  le tableau de Dalí fait la transition avec les anciens : c'est le portrait de sa sœur, mais il nous la montre de dos, penchée à une fenêtre. Dans l'autre tableau la fenêtre n'est qu'un prétexte pour représenter le possible envol des oiseaux. 

Dans les cinq tableaux précédents la mer est présente et joue un rôle prépondérant, elle représente le monde nouveau qui s'offre à celui qui ose la traverser par son regard. Alors que chez Dalí, Picasso, Matisse et Dufy l'intérieur ne présente aucun caractère dramatique, on remarquer que le tableau de Hopper exprime à la fois l’angoisse de la solitude dans un espace clos et le soulagement apporté par l’extérieur à travers de la fenêtre.

"Le regard des simples"

"Le regard des illustres" 

"Le regard sur la modernité" 

"Le regard sur la dystopie"

Du point de vue de l'art Réiste, une fenêtre est un objet banal, immobile, mais c’est aussi une "chose" dont la présence donne vie à d'autres objets qui deviennent le Monde Extérieur. Dans chacun des tableaux ci-dessous, sur le thème de la fenêtre, j’ai essayé d'imaginer un type de spectateur particulier. 

Dans "Le regard des simples" j’ai considéré des personnes anonymes, habitant la campagne. Elles  peuvent voir un paysage d'hiver enneigé tout en appréciant la douce chaleur de leur cuisine paysanne.

Dans "Le regard des illustres", il s'agit de personnes honorées par leur savoir ou leur position sociale, comme rappelle le nom de "Salle des Illustres" du Capitole de Toulouse. Leur regard se pose sur le monde urbain.  

Dans les deux autres, c'est le regard de l'homme moderne dans sa présence aujourd'hui et dans sa projection vers un futur à la fois effrayant et plein d'espoir, espoir représenté par les végétaux qui subsistent malgré la géométrie apparamment stérile.

Le regard des Simples.

Le dualité, ou la dichotomie, est présente depuis le début de l’Univers : chaud et froid, jour et nuit, grand et petit, riche et pauvre, etc. L’expérience à laquelle tout être humain est soumis, qui s’appelle Vie, le plonge dans une infinité de situations, naturelles ou artificielles, où le contraste entre ces deux pôles est présent.

Observer un paysage froid, glacé même, depuis un intérieur conditionné pour que la vie se déroule normalement est une expérience en liaison directe avec le dualisme originel¸ elle a un effet tranquillisant, on se laisse facilement bercer par cette sécurité.

  

Par contre la vision d’une fenêtre murée crée une angoisse insupportable. On peut imaginer toute sorte de récits d’épouvante dans lesquels des personnes se trouvent, privées, non seulement de liberté, mais d’au-dela.

C’est le regard que les personnes simples peuvent porter sur l’extérieur qui prend ici toute sa valeur illustrative. Non seulement il est possible de toucher les ustensiles traditionnels dans une cuisine campagnarde, mais il est possible d’ouvrir la fenêtre pour ´mieux apprécier la campagne enneigée. Qu’on soit voyant ou non voyant on peut appréhender la différence entre le décor de la vie protégée et celui soumis aux intempéries. Dans l’exposition du tableau au public on peut y adjoindre un ventilateur qui ne se déclenche que lorsque la fenêtre s’ouvre.

Le regard des Illustres

La ville de Toulouse a consacré une salle du bâtiment du Capitole aux « Illustres » : plusieurs bustes y sont exposés. Il s’agit de personnalités toulousaines, comme Pierre de Fermat, mathématicien du XVIIème siècle de renommée internationale , Pierre-Paul Riquet, constructeur du canal du Midi, ainsi que de quelques généraux de la Révolution ou de l’Empire. Nous avons voulu évoquer le regard que ces savants et militaires auraient pu poser sur la place principale de la ville depuis une des fenêtres de la Salle des Illustres.

La façade du Capitole fut construite de 1750 à 1760 en pierre calcaire et en briques. Elle est percée de quarante-et-une fenêtres ornées de balcons en fer forgé, décorés d'écussons, celles du milieu arborent les armes de la ville et les drapeaux de France et d’Occitanie. Les murs de la salle sont ornés d’œuvres d’artistes liés à la ville de Toulouse. L’aspect solennel du lieu  est rappelé par la présence d’une colonne dans l’ombre de l’encadrement, et lesw mots « place du Capitole » rappellent sans ambigüité l’objectif du regard des illustres à travers cette fenêtre

Il faut reconnaître que le mérite acquis par les personnes illustres provient de leur propre intérieur. Mais qu’en aurait-il été si ces personnes n’avaient pas bénéficié d’une vision de l’extérieur ? Nous avons voulu imaginer ce qui aurait pu se graver dans la rétine de personnalités dont nous ne connaissons l’apparence que grâce aux représentations artistiques de leur époque. 

Le regard sur ma ville.

Je connais à fond ma ville, Barcelone, j’ai donc une infinité de manières de la représenter sans aller chercher les clichés des agences de tourisme. Il s’agit de choisir subjectivement les éléments qui viennent spontanément à l’esprit. L’approche réiste a l’avantage d’utiliser des volumes de telle sorte que le tableau, bien que reposant sur une référence plate, tient compte de l’ensemble des dimensions de l’univers spatio-temporel.

 La scène se trouve doublement encadrée, d’une part le paysage est limité par deux tours, celle de gauche est un immeuble banal que sa proximité à l’observateur fait apparaître avec une dimension supérieure aux autres, à droite on a inséré le profil d’une des tours du monument emblématique de la ville, la Sagrada Familia. D’autre part la ville est observée à partir d’une fenêtre p uniquement par son cadre blanc ; ainsi l’observateur peut orienter les battants dans la position qui lui évoquera le mieux la vision d’un citoyen habitué et connaissant bien sa ville, il pourra alors se laisser emporter par la magie d’une fenêtre qui lui offre une vision toujours renouvelée.

Ce tableau a été soumis, à deux reprises, à l’appréciation d’aveugles et malvoyants. La ligne droite de l’horizon marin est interrompue par les formes des bâtiments classiques, facilement repérables au toucher, ainsi que la forme métallique parabolique de la tour qui imprime la signature postmoderne. C’est avec une grande satisfaction que j’ai pu constater que l’approche réiste ouvre de nouveaux dialogues.

Voir plus loin

Dans ce tableau nous avons profité de l'esthétisme d’une portion du Monde Extérieur que cette fenêtre encadre.  Nous avons voulu donner à ce tableau une dimension, spatio-temporelle en incluant une présence humaine, son ombre a été matérialisée sur un plan frontal, c’est elle qui a découvert la valeur esthétique du lieu, elle s'interpose naturellement entre l'observateur et l'œuvre.

Cette fenêtre, au lieu de s’ouvrir sur un univers rassurant, offre au regard une géométrie, certes créée par la main de l’homme, mais dont la complexité rend difficile son interprétation. La personne qui habite dans cette chambre aperçoit tous les jours ces lignes verticales, horizontales, qui induisent un rythme, analogue à celui des tableaux de Mondrian.  Happée par cette sorte de mouvement irréel, elle ne peut que développer un besoin de voir plus loin. Ce désir de vision de l’inconnu est analogue à la curiosité originelle, d’un primitif qui verrait pour la première fois une automobile, c’est la complexité dans la régularité qui le frappe et réveille en lui le désir de comprendre et de trouver une explication au monde.